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Jidre - l'aventure continue
21 avril 2010

La Folie des Hommes - chapitre 2

Secoué par le vent, les feuilles des arbres bruissaient lentement, s'accordant entre elles dans un long opéra sans fin. Le soleil, déjà bien haut dans le ciel, éclairait d'une douce lueur les brins d'herbes virevoltants. Il faisait doux, ni trop chaud, ni trop froid et la nature s'épanouissait comme de coutume à l'entrée de ce mois de printemps radieux.

Ici, un escargot dévorait lentement l'extrémité d'une feuille de choux sauvage, là, un lapin attendri bondissait entre les touffes d'herbe, ici encore, un papillon sortant à peine de sa chrysalide parcourait non sans un intérêt curieux les milles bonheurs que lui offraient le printemps pimpant dans sa vie éphémère.

Comme porté par le vent, le papillon tournoyait lentement, secoué tendrement dans sa rêverie candide, il fit des allées et venues à droite et à gauche, jubilant du plaisir intense que lui donnaient l'usage tout nouveau de ses ailes toutes nouvelles.

Une fine pluie de pollen doré l'accompagnait dans son voyage lorsqu'il vint se poser tranquillement, dans la plus flagrante des innocence sur un crâne humain planté sur un pieu ou quelques runes funestes avaient été tracées avec ce qui semblait être du sang.

Il resta là quelques secondes, le temps d'apprécier l'immobilité et de donner à la scène un intérêt artistique tout particulier formé par cet admirable contraste insoupçonné que la nature avait fait sans la moindre préméditation. Les antennes du papillon frémissaient de plaisir tandis qu'un air frais lui caressait les ailes. Il se trouvait juste à côté d'une entrée, ou plutôt d'une grotte aménagée sur le flanc d'un tertre et il ne réalisait pas un instant que l'air qui en sortait avait des relents de mort.

Bientôt, il s'envola en panique, bousculé par les vagues d'air que créaient d'immenses formes mouvantes jaillissant sans prévenir de gouffre béat.

La première forme fit une apparition sensationnelle, laissant miroiter ses cheveux presque blonds encrassés au soleil du printemps. Il fit une roulade spectaculaire et se rétabli sur les genoux. Il fut suivi d'une autre forme aux angles plus ronds et soyeux qui se jeta sans hésitation à terre, le nez dans les touffes d'herbes fraîches. La troisième forme qui apparu enfin jugea plus subtil de tournoyer sur lui même et de se plaquer sur la paroi extérieure du tertre en fixant l'entrée d'un regard de défi. Ce qui jaillit ensuite de la grotte fut tellement rapide que ni le papillon ni le lapin ne put discerner vraiment ce que c'était. Il s'agissait d'une nuée noire qui, au sortir de l'obscurité se voyait aussitôt transformée en un tas de cendre volatile. Les tas de cendre volatiles n'ayant pas pour nature d'attaquer les lapins, personne n'y accorda d'attention.

A l'intérieur de la grotte, plusieurs paires d'yeux rouges luisaient encore, avant de disparaître dans l'obscurité.

L'ambiance guillerette retomba lentement sur la scène, quelque peu troublée par l'arrivée de ses trois formes et de leur défunte suite. Puis, lentement, comme luttant contre une indicible fatigue nerveuse, une des trois apparition se releva.

« Et merde » lâcha-t-elle alors, comme pour embêter le papillon et le lapin qui ne trouvaient plus rien d'innocent et de pur dans ce qu'ils vivaient, « on s'en est sorti ! »

La jeune fille qui parlait d'une voix enrouée par la fatigue et la panique aida son compagnon à se relever, le vent faisait virevolter ses cheveux noirs, laissant découverts deux fines oreilles pointues.

« On est vivants ! Ces chauves souries vampires ne nous ont pas eu !

- On avait une chance sur deux, lui répondit son compagnon aux cheveux sales, si on était pas en plein jour, on serait encore en train de courir comme des pauv'lapins traqués. »

Frustré par ce langage ordurier et ses expressions triviales, le lapin s'écarta pour aller gambader et sautiller ailleurs...

« Kerlin, tu as les objets, j'espère » dit la jeune elfe à l'adresse du troisième, toujours plaqué contre le flanc herbeux.

« Ils sont là. Mais je suggère qu'on dégage vite d'ici avant toute chose », répondit Kerlin en se levant.

Mus par un inespéré élan de survie, les trois aventuriers se levèrent et quittèrent les lieux d'un pas chancelant, marchant péniblement, comme des zombies bourrés.

Le premier était un solide gaillard, taillé comme un gladiateur herculéen, vêtu de plus de ferraille que de tissu, il arborait en temps normal un air de vainqueur. Mais déconfit et fatigué, le solide gaillard n'avait plus gravé sur son visage son sourire de vainqueur, mais un funeste visage d'outre-tombe, tailladé par les cernes qu'il avait sous ses yeux rouges de fatigue. Sur son front pendaient lamentablement ses cheveux qu'on devinait blonds par association d'images et de stéréotype, car ayant absorbé trop de boue et de sang, ils n'avaient plus que l'apparence d'une motte de terre aride et sèche. Sa belle armure n'était qu'un amas de ferraille cognée et rouillée et son épée en disait long sur ce qu'elle venait de vivre.

La seconde était une elfe avec tout ce qu'une elfe implique en pureté, en beauté, en utilisation d'arc et en connaissances botaniques. Mais comme son compagnon, sa pureté était entachée de sang et de boue, sa beauté restait la même, quoiqu'un bon shampoing fût pour le moins nécessaire à ses fins cheveux noirs, rendus hirsutes et revêches par les mites et les puces qui avaient décidé d'y fonder une colonie. Son armure de cuir elfique ne valait plus tripette, elle était bonne à jeter aux ordures et la corde de son arc était aussi tendue qu'une limace sous opium. Ses mains fines pendaient en s'entrechoquant sur sa taille car elle n'avait absolument pas la moindre idée de ce qu'elle pouvait en faire et que les couper n'était pas une solution.

Le dernier était un jeune homme au visage fin et délicat. Il était le seul qui possédait encore une armure convenable. Son visage, par contre, en plus d'être ravagé par la fatigue grandissante était traversé d'une affreuse balafre qui donnait à ses airs juvéniles des reflets de cruauté presque effrayants et ne montrait plus qu'une mine démontée par la tristesse.

Leur première véritable pose depuis des semaines ne fut pas d'un grand luxe. Ils s'installèrent dans une clairière, non loin d'une route menant à la grande ville de Reavan. Exténués, ils ne prirent pas la peine de faire un feu et s'endormirent n'importe comment, le dos sur une racine, la tête dans une fourmilière et les mains dans un buisson d'ortie.

 

Le lendemain, ils ne furent pas surpris de ne pas avoir récupéré de leur éprouvante aventure et continuèrent leur route en silence, car il était bien trop fatigant de parler. Lorsqu'ils croisèrent une auberge pour voyageurs sur le bord de la route, leurs yeux s'écarquillèrent et ils sentirent rapidement les innombrables piécettes d'or de leurs bourse qui tintillaient en harmonie. Mais ils ne les firent pas tintiller plus longtemps car ça leur donnait horriblement mal au crâne.

L'aubergiste ne fut ni surpris, ni dégoûté de leur arrivée, il avait l'habitude d'accueillir des aventuriers cadavériques dans son établissement qui était d'ailleurs réputé pour ça, il fut cependant ravi de voir la quantité d'or qu'on lui tendait en ordonnant d'un air morne et las :

« Service premier choix, on veut des lits à baldaquin, des bains chauds et des serviettes douces, des affaires de rechange, un gros rôti d'ours et trois grandes choppes de bière. »


Enfin propres et fringants, ils s'installèrent à table pour assouvir leur fringale avant d'aller dormir pendant trois jours. Ils ne prirent pas le temps de déguster le repas mais se rattrapèrent sur la bière, en profitant de cette pose conviviale autour d'une choppe pour parler, chose qu'ils n'avaient pas fait depuis leur sortie de la grotte. Ce fut la jeune elfe – redevenue ravissante après un bon bain – qui prit la première la parole.

« On va être riches, les gars... dit-elle simplement.

- Tu as raison, Lida, répondit son compagnon. Nous avons accumulé beaucoup d'or dans ce putain de souterrain. »

Il se rendit compte de la mine déconfite de Kerlin, qui fixait le fond de sa choppe comme s'il voulait s'y noyer.

« Je pense, reprit l'aventurier, qu'on devrait accorder une minute de silence pour Urivain,  Pelumiel et Bralbio. Ils ont été pour nous plus que des compagnons d'aventure, plus que des partenaires, c'étaient nos amis, des personnes au grand cœur, au courage inaliénable. Que la paix les accompagne. »

Kerlin se mit à sangloter doucement, il n'arrivait pas à ôter de son esprit le visage de Urivain, hurlant de douleur dans les griffes de ce démon, celui de Pelumiel, toujours ravissante, même avec un carreau de baliste entre les deux yeux et celui de Bralbio, qui ricanait encore alors que son corps étaient en plusieurs morceaux... C'était affreux, mais comme le disait Sagregan et Lidalia, ses deux compagnons rescapés, ils allaient maintenant être riches.

Ce qu'ils avaient sorti de la grotte valait son pesant d'or, et il fallait bien que quelqu'un le fasse. Désormais, la gloire, la renommée, la richesse, tout cela était à portée de main.

Kerlin glissa lentement sa main sous sa veste pour y sentir le petit paquet de cuir, il perçu une légère vibration entre ses doigts.

Tout était terminé désormais, toute cette horreur, tout ce malheur... Maintenant, ils allaient être riches et célèbres. Seulement, un homme entra dans l'auberge et vint s'assoir à leur table.

« Vous ètes, Kerlin, Lidalia et Sagregan ? » demanda l'homme en claquant des doigts pour que le serveur lui apporte un grand verre de vin.

Les trois aventuriers se regardèrent et acquiescèrent. Cet homme n'avait rien d'un aventurier, il était vêtu d'un costume bien taillé et donnait comme seule impression celle d'être un simple fonctionnaire. Mais il n'était pas qu'un simple fonctionnaire.

« Charles Sormac, dit-il, mais appelez-moi Sormac, je suis le conseiller de Graham Franklin. »

En entendant ce nom, la quasi totalité des personnes présentes das l'auberge se turent et enfouirent leur tête dans leur choppe comme pour paraître plus discrets. Quant aux trois aventuriers, ils se regardèrent encore une fois, montrant visiblement que ce nom ne leur disait rien.

« Je viens pour vous prendre l'anneau que vous avez récupéré dans cette crypte, votre cher Graham ne se sent pas bien et il en a besoin.

- Quel anneau ? demanda Kerlin en affichant un air faussement innocent.

- Ne jouez pas à ce jeu là avec moi, messire Kerlin, il y a devant cette auberge un homme appelé Wel Tekeden qui attends. »

A nouveau, les clients de l'auberge eurent tous un soubresaut à l'unisson. Ils se levèrent tous presque en même temps et se dirigèrent vers la sortie après avoir laissé un nombre totalement aléatoire de pièces d'or sur leur table montrant qu'il n'était pas question pour eux de prendre le temps de les compter. L'un d'eux laissa sa bourse entière et, avant de passer la porte, fut pris d'une indécision extrême. Puis, il lorgna sa bourse d'un œil triste et s'en alla en sanglotant. Il venait de payer 75 pièces d'or pour une bière qui n'en valait même pas une.

« Nous ne voyons pas de quoi vous voulez parler, monsieur Sormac » dit Lidalia sans faire transparaître la panique qui grandissait dans sa voix.

« Vous êtes bien ignorants... Et j'ai envie de dire « tant pis pour vous » mais je vous laisse une dernière chance... »

Évidemment, il ne se passa rien. Un long silence parcourut la pièce de long en large avant de s'apercevoir qu'il se sentait bien ici et qu'il pouvait s'y installer. Mais sa rêverie ne dura pas longtemps car Sormac claqua des doigts.

Aussitôt, un grand elfe aux cheveux noirs accompagné de cinq guerriers entrèrent dans la pièce.

« Je vous présente Wel Tekeden et les Faces D'Acier, reprit Sormac. Je vous laisse négocier votre vie avec eux. »

Et comme la survie des gens est bien plus importante que leur gloire, leur richesse et leur renommée, en l'espace de quelques secondes, il ne restait sur la table que trois bocks vides, un rôti d'ours à peine entamé et un anneau. Quant à ses propriétaires, ils étaient déjà en train de courir dans la forêt.

Sormac afficha un air totalement satisfait et saisi l'anneau pour le ranger dans une petite pochette en cuir. Puis, il finit son verre d'un geste nonchalant, et regarda l'aubergiste.

« Mettez-le sur la note de ce type » dit-il en montrant la bourse pleine d'or laissée à l'abandon sur la table.

« Bien sûr, monsieur Sormac, répondit l'aubergiste en épongeant la sueur de son front avec la serpillère qu'il utilisait pour laver le comptoir. Bonne journée monsieur Sormac... »


Bienvenue sur les Terres de Farnos. Ceci est l'histoire de cinq personnages hors du commun qui osèrent se lever contre le pouvoir du plus dangereux économe de la terre. Quant à Kerlin, Lidalia et Sagregan, si vous vous y êtes attachés, sachez qu'ils se séparèrent peu après s'être fait sévèrement engueuler par le mage qui leur avait demandé de récupérer l'anneau. Kerlin rejoignit une guilde de voleur à Diffentahl et décéda après avoir voulu ouvrir un coffre appartenant à un dangereux technologiste qui se trouvait visiblement derrière lui. Lidalia continua ses quêtes en épurant des donjons, elle fut tuée par un minotaure quelques années après. Quant à Sagregan, il fut la malheureuse victime d'une erreur de contrat et fut assassiné dans son sommeil deux jours plus tard.

Navré, mais il ne s'agissait pas de leur aventure...


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Commentaires
F
Très sympa tes textes =D
Jidre - l'aventure continue
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